Colloque international ’Paris créole. Son histoire, ses écrivains, ses artistes XVIIIe-XXe siècle’

Colloque international ’Paris créole. Son histoire, ses écrivains, ses artistes XVIIIe-XXe siècle’

Organizer
Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne
Venue
Université de la Sorbonne
Location
Paris
Country
France
From - Until
27.02.2019 - 28.02.2019
Website
By
Frédéric Régent

En marge du colloque, le mercredi 27 février à 19 heures en salle Marc Bloch (17 rue de la Sorbonne, escalier C) aura lieu la présentation de Libres de couleur, recueil de textes issus de l’hommage rendu en mai dernier à l’historien Léo Elisabeth, et publié par les PURH dans la Revue du Philanthrope, en présence des auteurs (Cécile Bertin, Marcel Dorigny, Bernard Gainot, Erick Noël et Frédéric Régent).

Programm

Mercredi 27 février - matinée

9 h 30 : allocutions d’ouverture
SEQUENCE HISTOIRE

Modératrice : Cécile Bertin-Elisabeth

9 h 40 : La genèse d’un Paris créole au XVIIIe siècle
Erick Noël, professeur d’histoire moderne, Université des Antilles
Le siècle des Lumières voit poindre, par suite de la colonisation des « Isles », un Paris créole où se retrouvent planteurs et officiers coloniaux, entourés de leurs personnels de couleur. Inscrit dans les quartiers montants du centre-ouest de la capitale, il porte jusque dans la pierre son empreinte, pour s’identifier dans les hôtels aux figurations, inspirées des colonies, du « Nouveau Saint-Eustache ». Mais au-delà de l’affirmation d’un lobby antillais, qui impose un Dubuc au ministère et entrave, via le club Massiac, le processus de l’abolition de l’esclavage, c’est dans les mêmes quartiers que se retrouve à la Révolution la Société des Amis des Noirs, quand à l’ombre du Palais-Royal le duc d’Orléans protège un chevalier de Saint-Georges, musicien, et la carrière prometteuse d’un Alexandre Dumas, père et aïeul des deux écrivains. Une société des « Amériquains » de couleur émerge même, en 1789, pour soutenir la revendication d’une catégorie bafouée outre-Atlantique. C’est cette genèse, abordée notamment à partir des fonds du minutier central et de la Police des Noirs, qui sera mise en avant pour comprendre l’émergence d’un Paris spécifique, mis à mal par la réaction napoléonienne.

10 h 05 : Paris colonial et anticolonial.
Les traces de l’histoire coloniale et des luttes anticoloniales entre Monarchie et République
Marcel Dorigny, maître de conférences honoraire en histoire moderne, Université de Paris VIII
Paris, capitale d’un grand royaume, puis d’une République au rayonnement universel, fut aussi du XVIe au XXe siècle le centre politique, culturel et économique d’un immense empire colonial. Ce très long passé, intimement lié à l’histoire nationale elle- même, a laissé des traces visibles encore aujourd’hui dans le paysage de Paris. Le « piéton de Paris », pour reprendre l’expression de Léon-Paul Fargue, qui sillonne pendant quelques heures la capitale, ne peut le faire sans croiser des traces de cette histoire, même s’il n’en est pas conscient. Il n’est pas un arrondissement qui n’ait une rue, une avenue, un boulevard, une place, une plaque, une statue ou un monument qui y renvoie. Ainsi, passants habitués ou visiteurs occasionnels peuvent lire – s’ils sont attentifs – sur les murs de Paris, dans les rues et sur les places, mais également dans les cimetières érigés en lieux de mémoire (Père Lachaise, Montparnasse, Montmartre, Picpus...), de nombreux témoignages de l’histoire coloniale de la France, de sa période esclavagiste comme de sa période industrielle et impériale, mais également des résistances anticoloniales.

10 h 30 : Engagements politiques et créations de presse au fil du long XIXe siècle
Nelly Schmidt, directrice de recherches au C.N.R.S., Sorbonne Université
Au fil du long XIXe siècle apparurent des personnalités originaires des Caraïbes qui s’engagèrent pour des causes majeures telles que la lutte pour l’abolition de l’esclavage, l’établissement d’un régime politique républicain ou la promotion du mouvement panafricaniste. Toutes fondèrent, à partir d’un ancrage parisien, journaux et magazines, laissant ainsi un patrimoine inestimable, au contenu surprenant de hardiesse et de modernité face à un lourd héritage colonial. Les organes de presse, objets de cette communication, constituent aujourd’hui les témoignages précieux de ces engagements fondateurs contre l’oubli.

10 h 55 : débat.

Modérateur : Erick Noël

11 h 10 : Comment peut-on encore être créole ?
Les réseaux créoles parisiens et la seconde expansion coloniale (1880-1920)
Emmanuelle Sibeud, professeure d’histoire contemporaine, Université de Paris VIII
La rapide expansion coloniale entamée en 1879 et qui s’achève au cours de la première guerre mondiale, fait bien peu de place aux réseaux créoles installés à Paris, malgré leurs tentatives pour peser sur elle. Alexandre Isaac défend ainsi pied à pied le principe de l’assimilation au Sénat, ou au Congrès colonial de 1889. En 1892, les étudiants haïtiens installés à Paris demandent à s’enrôler dans le corps expéditionnaire qui débarque au Dahomey au nom de la « mission civilisatrice ». Tous sont cependant marginalisés, comme leurs territoires d’origine. Les Antilles deviennent de « vieilles » colonies que la métropole est soupçonnée de vouloir vendre, Haïti est occupé par les Etats-Unis. Des solidarités nouvelles se construisent pourtant et montrent que les réseaux créoles parisiens se transforment pour servir de mandataires aux nouveaux sujets coloniaux, plus rarement pour accueillir certains d’entre eux à Paris. Elles deviennent manifestes au début de la première guerre mondiale lorsque les élus antillais et africains multiplient ensemble les initiatives à partir de cet entregent impérial. On partira ici des trajectoires tout à la fois complémentaires et concurrentes d’Alexandre Isaac, du journaliste haïtien Bénito Sylvain et du député du Sénégal, Blaise Diagne pour analyser ces transformations et leurs enjeux.

11 h 35 : Paris, la troisième île ?
Le Paris créole populaire de l’entre-deux-guerres aux années 1980.
Marie-Christine Touchelay, docteure de l’Université de Paris XIII
Avant la départementalisation, Paris organise la vie quotidienne des habitants des vieilles colonies : Ministère rue Oudinot, siège de la S.A. des Sucreries d’Outre-mer exploitant deux usines de Guadeloupe, rue Saint-Honoré, et raffinerie de sucre Say, boulevard de la Gare. Des musiciens et danseurs, arrivés avec les expositions coloniales dans les années 1930, rencontrent un succès populaire et s’installent dans des cabarets à Montparnasse, incarnant la présence populaire créole. Après 1946, les migrants, en particulier Guadeloupéens, choisissent la Capitale pour concrétiser leur rêve d’une nouvelle vie. C’est l’occasion d’une brutale désillusion avec l’expérience charnelle de leur qualité de « citoyens de seconde zone » dénoncée par Aimé Césaire. Confrontés à la misère, logés dans des foyers d’accueil et orientés dans des emplois subalternes par le BUMIDOM ou d’autres voies, le Paris vécu par ces migrants dont nous tenterons l’inventaire, s’avère répulsif. Après les années 1960, la disparition de l’industrie sucrière dans les îles alimente encore leur flux. En même temps, le Paris créole populaire se développe à travers la musique et la danse. Le succès de groupes comme les Aiglons ou les Vikings, appréciés par un public parisien et créole, apporte la reconnaissance par la culture d’une valeur déniée par l’économie aux originaires d’Outre-mer.

12 h 00 : débat.

12 h 15 : pause.

Mercredi 27 février – après-midi
SEQUENCE LETTRES

Modérateur : Takayuki Nakamura

14 h 30 : Les auteurs oubliés du Paris créole
Raphaël Confiant, professeur en langues et cultures régionales, Université des Antilles
Dans l’entre-deux guerres et un peu après, un certain nombre d’écrivain(es) de la Martinique et de la Guadeloupe décidèrent, pour des raisons diverses, de s’installer en France et pour la plupart à Paris. Ils ont pour noms Gilbert Gratiant, Raphaël Tardon, Clément Richer, Irmine Romanette, Mayotte Capécia, César Pulvar, Michèle Lacrosil et bien d’autres dont les œuvres pâtirent, au moment de leur publication, de l’aura germanopratin, puis international, du mouvement de la Négritude conduit par le Martiniquais Aimé Césaire, le Guyanais Léon Gontran Damas et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. Aujourd’hui, on redécouvre ces textes, qui appartiennent majoritairement au genre romanesque, et, outre leurs qualités littéraires, on commence à mesurer à quel point une petite élite littéraire créole a pu se forger une place, certes modeste, mais bien réelle, au sein du milieu des arts (Mayotte Capécia était également peintre, par exemple) et des lettres parisiennes, cela en relation avec le formidable succès de la biguine et de la musique antillaise en général à travers, notamment, le fameux « Bal nègre » de la rue Blomet. Quelle place occupe ce corpus que l’on pourrait dire décentré, au sein de la littérature francophone antillaise, et comment le situer parmi les autres mouvements qui sont apparus depuis l’abolition de l’esclavage (Régionalisme « mulâtre », Négritude, Antillanité, Créolité) ? Tel sera l’objet de notre étude.

14 h 55 : Le Paris des années folles et la Négritude
Hidehiro Tachibana, professeur en littérature francophone, Université Waseda, Tokyo
Le « spleen de Paris », comme disait Charles Baudelaire, crée ce sentiment de malaise qui produit toutes sortes de fleurs du mal. Parmi elles on peut compter Joséphine Baker : cette belle fleur noire a su faire vibrer son âme et son corps tout en inventant de nouveaux rythmes urbains dans les années folles – c’était là une vraie révolution esthétique. La frénésie que montrait cette jeune danseuse trahit néanmoins son effroi et son désespoir, lesquels augmentent encore plus son allégresse dans sa revue noire. Le corps de la jeune Américaine de Saint-Louis, venue en France dans son errance, exprime en pantomime ces cris profondément ambivalents. À peu près au même moment, Aimé Césaire et Léon Gontran Damas affûtaient leur langage de cris. Quelques années plus tard, Césaire écrira dans un numéro de Tropiques : « C’est au cri que l’on reconnaît l’homme », avant de citer quelques vers de Langston Hughes qui commencent par « Nous crions parmi les gratte-ciels ». La réflexion de Césaire s’applique encore parfaitement au frontispice de Pigments, illustré par Frans Masereel. Notre communication portera ainsi sur cet entre-deux-guerres auquel pourraient se comparer les années de la Seconde guerre mondiale.

15 h 20 : débat.

Modérateur : Dominique Berthet

15 h 35 : Aimé Césaire, aux origines d’une négritude créole parisienne
Romuald Fonkoua, professeur en littérature francophone, Sorbonne Université
Il s’agit de montrer comment, au tournant des années 30 (très exactement à partir de 1935 et de la transformation, par Aimé Césaire, de la revue L’Étudiant martiniquais en L’Étudiant noir) se met en place, à Paris, un processus historique de reconnaissance de la dimension africaine (et nègre) de ce monde créole qui s’est implanté en métropole à travers la musique et les bals parisiens depuis les années 20. Ce processus, littéraire et intellectuel, va ainsi s’opposer à l’idéal des musiciens de la génération d’Émile Lardé qui chantent et vantent un monde créole empreint de doudouisme et d’exotisme. On tentera d’aller plus loin que les oppositions traditionnelles bien connues entre les générations d’intellectuels créoles qui se sont affrontés à travers leurs revues respectives (La Revue du monde noir, Légitime défense) entre 1930 et 1932, pour montrer que s’oppose, dans le même temps, à un monde parisien créole de la musique, de l’art et de l’enchantement, un monde parisien créole de la littérature, de la poésie et de la politique dont la figure de Césaire est (déjà) l’emblème avant la seconde guerre mondiale.

16 h 00 : Les sœurs Nardal ou une généalogie féminine de la Négritude dans le Paris des années 30 Corinne Mencé-Caster, professeure en linguistique hispanique, Sorbonne Université
Paulette et Jane Nardal, entourées de Suzanne Lacascade et Suzanne Césaire ont défini, dès les années 30, les contours d’une identité nègre, représentant ainsi, au plan intellectuel, une avant-garde féminine de ce qui deviendrait la pensée noire francophone. En fondant en 1931, avec le Haïtien Dr Sajous, La Revue du monde noir qui consigne nombre d’idées qui sont émises dans le salon littéraire qu’elle tient dans son appartement clamartois, Paulette Nardel a joué un rôle essentiel dans la constitution d’un humanisme noir francophone, et notamment dans la réflexion sur la colonisation, l’assimilation, l’identité nègre.
Nous examinerons les discours qui traduisent cette posture, à travers La Revue du monde noir et La femme dans la cité, pour mettre en exergue le rôle fondamental de ces intellectuelles encore trop méconnues, dans l’émergence de la pensée de la Négritude et dans les tumultes de ce Paris créole.

16 h 25 : débat.

Jeudi 28 février – matinée

Modérateur : Marcel Dorigny

9 h 30 : La modernité noire chez les étudiants et intellectuels antillais à Paris dans les années 1930
Takayuki Nakamura, professeur assistant à l’Université Waseda, Tokyo
On ne saurait évoquer la littérature africaine et antillaise du XXe siècle sans faire cas du Paris des années 1930, où trois revues importantes voient le jour : La Revue du Monde noir (1931-1932), Légitime Défense (1932) et L’Étudiant noir (1935-1936). On considère généralement que ces trois publications marquent chacune une étape du développement intellectuel des Noirs à Paris : c’est L’Étudiant noir qui, en dernier lieu, ouvre un nouveau chemin, la Négritude, vers la décolonisation des esprits.
En dépassant le simple constat des faits énoncés ci-dessus, notre communication vise à proposer un point de vue inspiré de « l’Atlantique noir » (Paul Gilroy) qui nous permet de réfléchir sur l’expérience de la modernité chez les étudiants et les intellectuels antillais. La capitale française constitue à l’époque pour eux un endroit incontournable. Ils s’y imprègnent de la civilisation européenne en rencontrant leurs camarades d’autres colonies françaises et aspirent à exprimer, en français, leurs propres existences et identités. C’est cette forme de créolisation que nous appelons la « modernité noire », puisqu’ils élaborent leurs idées en relation avec les courants politiques et littéraires en métropole.
Dans cette perspective, notre communication réaffirmera non seulement l’importance d’Aimé Césaire (1913-2008) et de L.G. Damas (1912-1978), mais tirera aussi de l’oubli de jeunes étudiants martiniquais tels qu’Étienne Léro (1910-1939) et Jules Monnerot (1909-1995).

9 h 55 : Le Paris d’Édouard Glissant : ascension littéraire et conscience politique
François Noudelmann, professeur en littérature francophone, Université de Paris VIII,
membre de l’Institut Universitaire de France
Lorsqu’il arrive à Paris, en 1946, Édouard Glissant bénéfice d’une bourse d’études décernée aux meilleurs élèves martiniquais et il s’inscrit en philosophie à l’université de la Sorbonne. Dans ses écrits sur cette découverte du pays colonisateur, il insiste surtout sur son expérience sensible et existentielle des ambiances urbaines, en contraste avec son pays originel. Toutefois le contexte de l’Après-guerre offre un paysage social, politique et littéraire particulier dans lequel Glissant va concevoir son ascension d’écrivain. Il fréquente et traverse des milieux spécifiques, étanches, notamment les poètes qui cherchent à sortir du surréalisme (Laude, Charpier, Roche), les intellectuels des revues montantes (Sartre, Leiris, Nadeau), les artistes sud-américains autour de la galerie du Dragon (Matta, Zanritu, Segui, Gamarra). À côté de ces milieux où se nouent les alliances nécessaires au développement d’une carrière littéraire, Glissant continue de côtoyer ses amis antillais, mais sans les associer à ses nouvelles connaissances. Sa conscience politique, éveillée par Césaire en Martinique, resurgit avec intensité lorsqu’il rencontre Albert Béville et milite pour l’autonomie des Antilles. Quels liens unissent ces divers milieux parisiens ? Quelle conception Glissant s’est-il forgée de la « littérature engagée » ou de la « littérature créole » ? Cette présentation tentera d’y répondre.

10 h 20 : Aimé Césaire et le Paris créole des années 1940-1970,
ou l’époque du colonialisme au quotidien
Ryo Fukushima, doctorant en littérature francophone, Sorbonne Université
« Nous sommes des marginaux, mais pas seulement du point de vue économique », dit Aimé Césaire dans une allocution sur la société martiniquaise en 1979. Mais pourquoi des « marginaux » ?
Notre communication s’attache à relire et à contextualiser les écrits de Césaire entre les années 1940 et 1970. La démographie nous montre qu’à cette époque l’émigration des Antillais vers la métropole s’est accélérée, et que le résultat a été, comme l’analyse Édouard Glissant, une véritable destruction sociale et économique de la Martinique – comme un « négatif » du Paris créole d’alors. Or, l’imagination littéraire, chez Césaire, ne quitte pas le réel martiniquais. Nous mettrons donc en relief la complexité de la relation entre l’imaginaire césairien et la situation « post-coloniale ».
Dans cette perspective historique et critique, nous examinerons d’une part des images de l’île ou des îles dans des œuvres significatives – Ferrements (1960) ou Noria (1976) –, et d’autre part des discours dans lesquels il a critiqué le colonialisme continué et renouvelé comme système néocolonial – tel que Sartre l’a mis en lumière dans « Le tiers monde commence en banlieue » (1970).

10 h 45 : débat.

SEQUENCE ARTS

Modérateur : François Noudelmann

11 h 00 : De l’académisme des salons à une créolité affirmée :
Le glissement du Paris créole sous le deuxième empire colonial
Christelle Lozère, maître de conférences en histoire de l’art, Université des Antilles
Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour voir apparaître dans les salons artistiques parisiens les premiers peintres natifs des Antilles reconnus à l’échelle nationale. Le plus célèbre est Guillaume Guillon Lethière, né en 1760 à la Guadeloupe et mort en 1832 à Paris. Second prix de Rome, il sera l’un des grands peintres néo-classiques de son temps aux côtés de David et sous la protection de Napoléon. Il est surtout le premier peintre mulâtre de l’histoire de l’art français. Ainsi au XIXe siècle, le dépouillement des catalogues des salons parisiens témoigne de la présence d’une quinzaine d’artistes natifs des Antilles venus se former, jeunes, dans les écoles des Beaux-Arts de l’hexagone. Quelques-uns se démarquent assez brillamment, tels que les Martiniquais Louis Désiré-Lucas ou Inès de Beaufond, portraitiste. Le Guadeloupéen Jean-Baptiste Gibert, formé dans l’atelier de son compatriote Lethière, obtient le premier grand prix de Rome de paysage historique en 1829. Il expose au Salon des artistes français de 1831 à 1872. Toutefois la plupart des artistes antillais, issus principalement de milieux privilégiés, exposeront seulement une œuvre ou deux au grand Salon parisien. Ils ne marqueront pas véritablement l’histoire de l’art, leurs productions se fondant dans les cadres imposés par l’académisme et de l’esthétique du moment. C’est véritablement dans l’entre-deux-guerres qu’un réseau d’artistes structuré se met en place, porté par la Société coloniale des artistes français (SCAF), constituant un Paris créole artistique très actif.
À partir des années 1920, la culture antillaise est progressivement découverte par le grand public à travers le climat festif des orchestres de jazz, des bals doudous, des cabarets, des expositions coloniales. Les Antilles fantasmées sont à la mode. En 1924 est créée une Société des Artistes Antillais à Pointe-à-Pitre par la Parisienne Germaine Casse, d’origine guadeloupéenne. Le Salon de la SCAF au Grand Palais est l’occasion pour les artistes coloniaux, originaires ou non des deux « vieilles colonies », de présenter chaque année des sujets antillais à Paris. Les festivités du Tricentenaire du Rattachement des Antilles à la France (gala à l’Opéra, exposition au Musée de la France d’Outre-Mer) marquent en 1935-1936 le triomphe du doudouisme parisien.
Il s’agira, dans cette communication, d’étudier le glissement entre une créolité artistique effacée par le poids de l’académisme des Salons au XIXe siècle et son exaltation encouragée par la politique coloniale assimilationniste dans l’entre-deux-guerres.

11 h 25 : Deux Caribéens parmi les surréalistes :
René Ménil et Wifredo Lam à Paris dans les années 1930
Dominique Berthet, professeur en esthétique et en sciences de l’art, Université des Antilles
Arrivé à Paris en 1928, René Ménil rencontre André Breton et le groupe surréaliste parisien en 1932. Avec d’autres étudiants martiniquais qui se revendiquent à la fois du Surréalisme et du matérialisme dialectique de Marx, il fonde la revue Légitime défense, dont un seul numéro paraîtra le 1er juin 1932. Véritable brulot révolutionnaire, cette publication anticolonialiste, antireligieuse, anticapitaliste, est tout à fait dans la lignée des prises de position des surréalistes à cette époque. René Ménil rencontre André Breton chez lui, rue Fontaine, ou dans des cafés non loin, place Blanche où se retrouvent les surréalistes. Il participe aux discussions, aux « jeux » et aux activités du groupe.
Wifredo Lam, quant à lui, arrive à Paris en 1938, après avoir participé à la guerre d’Espagne dans les rangs des Républicains. Un ami sculpteur, Manolo, l’avait incité à partir pour Paris afin de rencontrer Pablo Picasso dont il est l’ami et lui avait remis une lettre de recommandation. La rencontre avec le peintre espagnol va être déterminante. Picasso lui fait rencontrer artistes, écrivains, poètes, galeristes... Wifredo Lam se lie avec André Breton et les surréalistes. Durant ses années parisiennes, il peint sans relâche et à son départ, laisse toutes ses œuvres à Picasso afin qu’il les remette au docteur Thésée, médecin martiniquais installé en banlieue parisienne. René Ménil est parti de Paris en 1935. Il n’a donc pas connu Wifredo Lam, mais leurs fréquentations ont parfois été les mêmes. Et c’est en Martinique, en 1941, que les deux hommes se rencontreront, par l’intermédiaire d’André Breton.

11 h 50 : Le Paris / pari créole revisité de Christian Bertin
Cécile Bertin-Elisabeth, professeure en études hispaniques, Université des Antilles
Le terme « créole » a évolué au cours des siècles tout autant que la conception de l’ « Outre-mer », entre époque coloniale et départementalisation, désir d’assimilation ou d’autonomie. Encore aujourd’hui, les approches idéologiques et les ressentis des populations de ces territoires longtemps perçus comme à la marge du modèle européen – conçu jusqu’alors comme universel – s’expriment de manière diverse. Depuis la fin de la seconde moitié du XXe siècle, les artistes antillais, issus de ce monde créole, ont éclairé ces jeux de perceptions, entre centre(s) et périphérie(s), par leur approche critique originale des modèles officiels dont Paris constitue un creuset indéniable et leur recherche de tracées créoles.
Le plasticien martiniquais Christian Bertin, de par la construction d’un driv’art (art de la drive ainsi que dynamique erratique et « diasporéique ») au carrefour de plusieurs cultures, poursuit ce questionnement à rebours du poids de ce Paris créole à partir d’un art mobile qui refuse que nos mémoires ne se figent. Ce faisant, il relie sans fards Histoire et Art.
Il s’agira dans cette étude de s’intéresser aux défis que lance l’œuvre de Christian Bertin (né en 1952) et, notamment, d’interroger la performance réalisée par cet artiste foyalais à Paris en 2009 ainsi que la mise en scène des photos qui en ont été tirées en juillet 2017 à Fort-de-France. Quels sont les enjeux de ce véritable face à face symbolique entre les plus grands monuments parisiens et le « diable rouge » de Christian Bertin ? En quoi ces déambulations artistiques interrogent à chaque étape les aller-retour d’une construction identitaire hétérogène au cœur d’un Paris créole revisité où se voient réunis passé et présent en une sorte de pari visant à (ré-en-)contrer l’Histoire ?

12 h 15 : débat.

12 h 30 : pause.

14 h 30 : visite conclusive du Paris créole par Kévin Donat, guide conférencier

Contact (announcement)

Frédéric Régent
Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne

Frederic.Regent@univ-paris1.fr


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Published on
24.02.2019
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French
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