L. Cossu-Beaumont: Deux agents littéraires dans le siècle américain

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Title
Deux agents littéraires dans le siècle américain. William et Jenny Bradley, passeurs culturels transatlantiques


Author(s)
Cossu-Beaumont, Laurence
Published
Lyon 2023: ENS editions
Extent
290 pp.
Rezensiert für 'Connections' und H-Soz-Kult von:
Michel Espagne, CNRS/ENS Paris

Dans les travaux sur l’histoire du livre on accorde généralement peu d’attention au groupe des agents littéraires. Or ceux-ci ont pu jouer un rôle fondamental dans l’histoire des transferts culturels. C’est cette lacune que tente avec succès de combler l’ouvrage de Laurence Cossu-Beaumont en se concentrant sur deux figures de la vie littéraire franco-américaine dans les années 1920 et 1930 que l’on peut aussi considérer comme les inventeurs d’un nouveau métier. En effet l’Américain William Bradley et son épouse française ont œuvré à un rapprochement des littératures entre le monde anglophone, surtout américain, et le monde francophone. Cette médiation se situe à plusieurs niveaux : il s’agit de trouver des éditeurs, de traduire de l’anglais ou vers l’anglais, de contribuer à la fortune d’auteurs américains ou anglais en France en faisant la promotion de leurs livres, mais parfois aussi de les conseiller dans la phase de rédaction proprement dite de les aider. Si le premier titre de gloire de Jenny Bradley est d’avoir procuré à James Joyce le bureau parisien dans lequel il put achever la rédaction d’Ulysse, un Joyce annoncé par le poète américain Ezra Pound, il faut inscrire la médiation opérée par les Bradley dans le contexte des années qui ont suivi à Paris le traumatisme de la guerre de 1914.

Descendante cultivée d’une famille d’industriels de Tourcoing Jenny Serruys a rencontré le jeune éditeur William Bradley, ancien de Columbia travaillant déjà dans l’édition avant son enrôlement dans l’armée américaine. Leur rencontre sous le signe de la coopération franco-américaine va aboutir à la fondation d’une agence installée dans la demeure de la famille des Serruys sur l’île Saint-Louis. Ils ont contribué à la fondation de la bibliothèque américaine de Paris en 1920, se sont aussi impliqués dans le Comité américain pour les régions dévastées. Dans les cercles parisiens de Jenny Bradley on rencontre Gide, Colette, Valéry, Kessel, Cendrars, Giraudoux, Paul Morand, Montherlant, Maurois, jules Romain, Malraux, ou encore Hemingway, Faulkner, Miller, Scott Fitzgerald. William Bradley de son côté cultive un réseau d’éditeurs américains au premier rang desquels se trouve la maison Knopf.

L’agence qui fait naître de nouvelles pratiques pour le monde éditorial, —ce qui vaut à William Bradley une décoration de la légion d’honneur —s’efforce de faire connaître aux Etats-Unis des auteurs français de tous genres et aide à la publication des mémoires de Clémenceau. Mais en en contribuant au succès français d’auteurs encore considérés aux Etats-Unis comme sulfureux comme Henry Miller ou T.S. Eliot, D.H. Lawrence ou l’écrivain d’origine jamaïcaine Claude Mckay, elle contribue à faire du Paris des années 1920 et 1930 le lieu d’une modernité littéraire américaine qui ne pouvait pleinement s’épanouir qu’hors des frontières. Une féministe lesbienne comme Gertrude Stein peut devenir dans l’atmosphère plus libérée de Paris et grâce aux Bradley une écrivaine américaine reconnue.

Fondée sur des archives de l’agence Bradley, principalement conservées à l’université d’Austin, l’enquête de Laurence Cossu-Beaumont réussit tout à la fois à décrire toutes les tractations financières qui accompagnent le travail des agents littéraires et à montrer comment une culture américaine alternative se construit à Paris où sont aussi sélectionnés les œuvres qui nourriront la représentation de la France chez les lecteurs américains. On assiste dans ce livre à la fondation de la librairie américaine de Paris Shakespeare and Company grâce à l’éditrice américaine Sylvia Beach. Certains ouvrages comme Lady Chatterley‘s lover seront publiés pour la première fois à Paris en anglais. On assiste à des tensions entre les éditeurs parisiens ou américains autour des auteurs que l’agence Bradley s’efforce de faire émerger dans une circulation transatlantique. Des deux côtés les éditeurs, comme Gallimard, n’accueillent pas toujours avec bienveillance ces nouveaux venus que sont les agents littéraires.

Après la césure de la seconde guerre mondiale et la mort de William, Jenny Bradley a continué le travail de l’agence, s’occupant notamment de Sartre et de Camus qu’elle a aidés à franchir l’Atlantique et elle ne se désintéresse pas de ce nouveau genre littéraire qu’est la littérature policière, incarnée notamment par Patricia Highsmith, elle aussi une Américaine d’Europe. Complété par la reproduction de pièces d’archives, le livre se Laurence Cossu-Beaumont fait apparaître une dimension de la littérature anglophone : le rôle joué par Paris dans la naissance d’une modernité américaine. Elle révèle en même temps tout le bénéfice historiographique qu’on peut tirer d’une analyse des agents littéraires, ces nouveaux venus dans l’histoire du livre et dans l’histoire des transferts culturels. Un livre qui, en montrant clairement comment les espaces culturels se constituent l’un par l’autre, explore beaucoup de pistes et en en signale davantage davantage encore.

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06.12.2024
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Diese Rezension entstand im Rahmen des Fachforums 'Connections'. http://www.connections.clio-online.net/
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