Gabriele Crusius a été à l’origine d’une redécouverte de la bibliothèque rassemblée par Georg Friedrich Brandes, qui fut avec ses 22 000 volumes une des plus importantes collections constituées durant les Lumières allemandes. Fonctionnaire du Hanovre, Brandes avait des relations étroites avec le monde anglophone. Il participait en outre, à travers son ami Christian Gottlob Heyne, aux acquisitions de la bibliothèque de Göttingen, et faisait partie des correspondants du grand éditeur de Leipzig Erasmus Reich. Le catalogue de l’exposition organisée à 0ldenburg en 2011 met en lumière les divers angles sous lesquels on peut aborder l’étude de cette collection qui avait dû coûter à son propriétaire la somme de 40 000 Rtl. La genèse de la bibliothèque de Brandes dont les acquisitions sont commentées régulièrement dans sa correspondance avec Heyne, repose sur un réseau comprenant le libraire anglais John Nourse, le libraire vénitien Pasquali et le Français Panckouke. Les livres circulent d’un bout à l’autre de l’Europe. Le catalogue, lui-même rédigé en langue française, les séries de bibliographies guidant la quête des nouvelles publications permettent de reconnaître les caractéristiques d’une curiosité universelle. Les éditions rares et illustrées de Shakespeare voisinent avec celles de La Fontaine et avec l’édition française des idylles de Gessner. L’idéologie des Lumières occupe une place centrale, et à côté de l’Encyclopédie on trouve naturellement les livres de Montesquieu, Hume, Smith, Ferguson, Home dans la langue originale. Mais Brandes, qui connaissait l’anglais, s’est aussi attaché à faciliter un transfert de la littérature anglaise vers l’Allemagne. Non seulement il collectionnait les œuvres anglaises par exemple Pope, Dryden ou le Thomson des Saisons, ou encore Young, Macpherson, mais il a en outre contribué à leur traduction en poussant par exemple à la publication d’une version allemande de l’histoire de l’Amérique de Robertson. Brandes collectionne les histoires universelles, qu’elles soient de Voltaire (Essai sur les mœurs) ou de Gatterer, Schlözer, Meiners. Les voyages autour du monde (de Cook, de Forster), les mémoires sur la Chine des jésuites, la première histoire de l’Hindostan, retiennent toute son attention. Etant donnée l’importance des illustrations dans le volume on peut observer que la bibliophilie de Brandes reste très proche de l’histoire de l’art. Outre les livres il acquérait d’ailleurs des gravures, et tout particulièrement des planches concernant les dernières découvertes de l’archéologie. Une édition des Antiquities of Athens (1762) de Nicholas Revett atteste par exemple de cet intérêt. A parcourir les divers chapitres du catalogue on voit se construire la culture cosmopolite d’un bibliophile des Lumières nourri de littérature des divers pays européens, attiré par les voyages de circumnavigation, l’histoire de l’art et l’histoire universelle. Dans sa correspondance Brandes s’exprime au demeurant volontiers sur la qualité littéraire, historique, philosophique ou esthétique des ouvrages qu’il a reçus. On a affaire à travers un chapitre de l’histoire allemande des bibliothèques, à une contribution très stimulante à l’histoire intellectuelle des Lumières.