R. Sternke: Böttiger und der archäologische Diskurs

Title
Böttiger und der archäologische Diskurs. Mit einem Anhang der Schriften "Goethe's Tod" und "Nach Goethe's Tod" von Karl August Böttiger


Author(s)
Sternke, René
Published
Berlin 2008: Akademie Verlag
Extent
598 S.
Price
€ 79,80
Rezensiert für 'Connections' und H-Soz-Kult von:
Geneviève Espagne, Université de Picardie Jules Verne Amiens

C’est une véritable archéologie de l’archéologie, du moins pour l’époque où cette science évolue encore entre l’ancien savoir antiquaire et la discipline moderne, que nous propose le nouveau travail de René Sternke. L’étude en impose non seulement par son volume, mais aussi par son érudition et ses qualités à la fois d’analyse et de synthèse. Exploitant un important fonds de documentation, qui se déploie dans le vaste appareil des notes de bas de page, elle érige en quelque sorte un monument à un de ces minores sans lesquels on ne peut plus concevoir sérieusement l’histoire européenne des savoirs et des cultures. Car l’exploration de la correspondance dans une large mesure inédite de Karl August Böttiger (1760-1835) n’a pas tant pour objectif de justifier ou de réhabiliter une figure dévalorisée dès son vivant par les coryphées de la vie intellectuelle (classiques comme romantiques l’affublèrent du sobriquet « Ubique » parce qu’il était implanté dans nombre d’institutions et de réseaux de l’époque et pouvait ainsi leur porter ombrage), de réviser les évaluations acquises que d’éclairer ces anfractuosités et ces fissures symptomatiques des périodes où émergent de nouveaux discours.

C’est en effet essentiellement avec les outils théoriques de Foucault que l’auteur parvient à dompter la masse des matériaux à traiter. Ils lui permettent d’esquisser une démarche à la fois claire et pertinente depuis l’analyse de la constitution de l’objet du discours archéologique (1re partie), puis de celle de son sujet (2e partie) en passant par l’étude des stratégies d’institutionnalisation de ce discours (3e partie) et enfin lla confrontation d’une de ses caricatures littéraires avec une de ses réalisations concrètes (4e partie). La première source de référence, constituée par la correspondance que Böttiger entretint de 1824 à 1835 avec l’antiquaire/archéologue français Désiré Raoul-Rochette (84 lettres), fait de plus de cet ouvrage une pièce importante dans l’histoire des transferts culturels entre les deux pays voisins.

Cet échange épistolaire, qui répond au mode de communication entre maître et élève, sert donc dans un premier temps à R. Sternke de point d’ancrage pour un repérage de l’objet du discours des archéologues. A travers ses trois principaux thèmes, la question des revues archéologiques de Böttiger, celles de la réception des Monuments inédits de Raoul-Rochette (1828-1829) en Allemagne et de la contribution de Böttiger à ses Peintures antiques inédites (1836), cette correspondance franco-allemande se fait notamment l‘écho d’une dialectique de l’accroissement et de la raréfaction de l’objet sous les effets contradictoires d’une volonté d’autonomisation du discours et d’intérêts extra-discursifs. C’est du reste l’enjeu majeur pour l’archéologie de l’époque que de se constituer en discours indépendant à la croisée d’autres discours, en particulier celui de la philologie, celui de l’art ou celui de la politique, alors qu’elle continue de bénéficier soit de certaines de leurs méthodes soit de la publicité que certains assurent à l’antiquité. Les deux épistoliers évoquent les innombrables éditions de monuments qui, s’inspirant de la science philologique, présentent leur matière sous la double forme textuelle et figurée. Ces monuments eux-mêmes, dont on retient par priorité ceux qui représentent des sujets mythologiques, sont aussi interprétés à la manière de textes. On pratique une forme de critique soucieuse de questions toujours dérivées de la science des textes (attribution, datation, périodicité, authenticité). A travers les lettres des deux correspondants on voit les objets des fouilles, dont le nombre augmente rapidement et alimente collections privées et publiques, prendre une valeur esthétique de plus en plus prononcée. La céramologie explose après que l’édition des vases d’Hamilton illustrée par Tischbein a posé des principes esthétiques qui seront fondamentaux à la fois pour les esthétiques classique et romantique. Quand il est question de la thèse étrusque défendue par le prince de Canino pour valoriser le patrimoine local contre la grécomanie ambiante, on constate qu’elle peut également être confisquée par des intérêts politiques. R. Sternke montre que la facticité de l’objet archéologique, sa positivité se dégagent toutefois dans le discours de Böttiger et de Raoul-Rochette comme critères discriminants par rapport aux discours adjacents.

Centrée sur l’émergence du sujet du discours archéologique, la seconde partie de l’étude développe la biographie scientifique de Böttiger comme « biographie de la science » en gestation elle-même (p. 105). L’analyse permet effectivement, en balayant l’action de Böttiger à Weimar puis, à partir de 1804, à Dresde, et en s’étayant là aussi de sources épistolaires, en particulier de la correspondance avec le philologue Heyne de Göttingen, d’aborder les débats divers qui virent l’archéologie tenter de circonscrire son sujet en se confrontant à d’autres formes d’exercice d’un discours sur l’antiquité. R. Sternke fait notamment une place centrale à la tension entre archéologie et classicisme. Si le goût classique suscite une forte demande en direction des archéologues (Goethe est tenté d’associer Böttiger à ses expérimentations théâtrales antiquisantes) et concourt fortement à l’établissement du nouveau savoir, il contredit en revanche son orientation historiciste : au projet d’une actualisation de l’antiquité, à l’utopie d’une réconciliation de l’antiquité et de la modernité, s’oppose un intérêt pour les realia et leur contexte organique. Böttiger reproche au Ion de A. W. Schlegel de prétendre surpasser Euripide au plan moral en ajoutant un acte de réconciliation à l’original. La perspective de l’ouvrage de R. Sternke est de nature à renouveler l’image de cette querelle (p. 199 sq.). S’appuyant sur une certaine conception de l’histoire des religions, sur la construction d’une opposition entre un hellénisme voué à l’idéalisation des objets naturels et au fétichisme d’une part et d’autre part un christianisme attaché à la spiritualisation de l’homme et à la représentation allégorique des choses, l’archéologue souligne toujours la modernité c’est-à-dire l’inspiration chrétienne des œuvres classiques, de l’Iphigénie de Goethe par exemple. Böttiger ne partage pas non plus l’image idéale d’émancipation que donne F. Schlegel de la femme grecque. Le sujet du discours archéologique étant selon lui tenu à l’exactitude et à la vérité historique, il récuse toute déformation que les discours voisins font subir au savoir sur l’antiquité. R. Sternke consacre des pages intéressantes (p. 241 sq.) au scandale qu’avait entrainé l’introduction de hiérodules dans un ballet berlinois, l’affaire montrant la science émergente tiraillée cette fois entre les exigences du système de la représentation aristocratique et celles de la publicité bourgeoise. Car, et c’est là encore un point de rupture entre les sujets des discours classicisant et archéologique, l’archéologue Böttiger use largement des opportunités que lui donne le discours journalistique pour asseoir le nouveau savoir.

Böttiger apparaît aussi comme fondateur d’un journalisme scientifique ambitieux. La partie suivante de la monographie de R. Sternke se livre à une étude des tentatives d’institutionnalisation du nouveau discours archéologique telles que les reflètent les lettres échangées avec les éditeurs Göschen et Max et à nouveau avec Raoul-Rochette. L’auteur lit ces diverses entreprises comme mises en œuvre de procédures d’exclusion obéissant à un mouvement de raréfaction de l’objet comme du sujet du discours. R. Sternke décrit les dispositifs que le rédacteur de l’Amalthea (1820-1822-1825) avait négociés avec l’éditeur Göschen pour soustraire la publication, première revue spécialisée d’archéologie, à la mainmise de tous intérêts exogènes et en laisser le seul contrôle au marché libre (honoraires et exemplaires d’auteur, choix de la seule langue allemande comme outil de communication). L’échec des revues de Böttiger (en 1828, il y eut aussi Archäologie und Kunst, un second essai moins disciplinaire) et le succès parallèle des périodiques inscrits dans le système du mécénat aristocratique de l’Instituto di correspondenza archeologica, bientôt transformé en institut archéologique allemand sous le contrôle d’un Etat pré-national, est révélateur de la résistance des modèles d’ancien régime dans l’Europe du XIXe siècle ainsi que de la virulence de l’antagonisme Prusse-Saxe dans les territoires germaniques. Un autre volet des efforts de Böttiger pour instituer le discours archéologique concerne les Monuments inédits de son correspondant français. L’auteur de l’étude utilise la grille communicationnelle de Jakobson, qu’il enrichit par la prise en compte de la dimension sociale de la constitution du message, pour mettre au jour les structures itératives à l’œuvre dans les stratégies discursives des deux archéologues, les diverses formes de méta-discours du discours proprement archéologique mises en place dans le texte comme dans les para-textes et susceptibles de favoriser la promotion de l’ouvrage français en Allemagne (prospectus, annonce, réseau de recommandations, de comptes rendus et, dans l’ouvrage, notes, tables des matières, registres, etc.). R. Sternke montre que, indépendamment de leur succès, ces procédures « auto-référentielles » (p. 375) donnent du poids au discours archéologique à établir. A travers une exposition des rudes querelles de compétence que se livrent notamment archéologues et artistes et archéologues et philologues, il fait finalement voir dans les Peintures antiques inédites de Raoul-Rochette une sorte de sommet de l’affirmation du discours archéologique en Europe en même temps que de la collaboration franco-allemande qui la supporte. Les âpres discussions autour de la nomenclature des vases grecs (Panofka / Letronne) ou des peintures murales grecques (Hermann, Letronne / Hitorff, Raoul-Rochette, Böttiger) dessinent des fronts d’ampleur européenne entre art, philologie et archéologie. R. Sternke suit dans la correspondance entre l’archéologue français et son destinataire allemand la gestation complexe d’une œuvre à quatre mains qui serait une « amplification » (p. 431) et une radicalisation de la thèse soutenue en 1811 par le maître Böttiger dans ses Ideen zur Archäologie der Malerei : la peinture murale grecque ne relèverait pas de la fresque ornementale mais serait un art autonome, réalisé sur des tableaux de bois mobiles. Que l’archéologie se situe d’emblée en dehors de la philologie, comme en France, ou qu’elle soit dès l’origine lovée en elle, comme en Allemagne, son discours atteint, c’est à quoi aboutit la démonstration de R. Sternke, une première étape vers l’autonomie dans cet ouvrage de Raoul-Rochette dédié à Böttiger.

La dernière partie du livre de R. Sternke propose une nouvelle lecture de l’entrée en littérature de Böttiger c’est-à-dire une lecture qui tient compte des contradictions ou des paradoxes de l’homme et de son temps. La figure satirique d’Ubique, qui est au centre de la nouvelle de Tieck Die Vogelscheuche (1834), est ainsi regardée non seulement comme une attaque personnelle contre Böttiger ni même comme une attaque contre l’archéologie contemporaine et ses prolongements classiques tels le nouveau design antiquisant, mais R. Sternke montre par une étude d’intertextualité fine que la critique de l’époque présente comme retour à la mythologie et au fétichisme est en réalité une grille interprétative que Tieck a empruntée à la figure même dont il fait l’objet de sa satire, au Böttiger des Ideen zur Kunst-Mythologie. L’archéologie serait pour Tieck une « initiation à l’idolâtrie du quotidien » (p. 482) qu’il observe dans la société de la Restauration. R. Sternke éclaire également les enjeux esthétiques de cette position de retrait vis-à-vis de la tendance réaliste du temps. La série d’articles de Böttiger analysée à la fin de l’ouvrage de R. Sternke, le nécrologe de Goethe que l’archéologue fait paraître en avril / mai 1832 dans le plus important quotidien allemand de l’époque, l’Allgemeine Zeitung d’Augsbourg, confirme la perspective interprétative de la nouvelle tieckienne. Böttiger porte sur le présent le même regard que s’il était passé ruiné. L’ancienne ironie se transforme en emphase dans des textes qui célèbrent la figure de Goethe avec un luxe de références mythologiques dûment identifiées par l’auteur de la monographie et tiennent un discours non seulement archaïque mais proprement archéologique dans la mesure où ils font une place centrale aux objets matériels laissés par le défunt, collections, papiers et surtout sa demeure. Böttiger lance en effet la campagne en faveur de la transformation de la maison du Frauenplan en musée.

Le livre de R. Sternke doit être recommandé aux historiens de l’archéologie bien sûr, mais aussi aux historiens de la littérature et aux historiens de la culture, aux historiens des transferts culturels qui s’intéressent notamment à la période dite en Allemagne « autour de 1800 ».

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07.05.2010
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